Au printemps 2025 paraissait le premier numéro du magazine AOC (Analyse Opinion Critique), une couverture blanche avec un titre « Intelligence Artificielle » en orange.
Un régal pour les amoureux du texte, car le magazine recueille des articles parus sur son site en ligne. A commencer par l’article signé Alexandre Gefen et Philippe Huneman sur « les défis de l’IA à la philosophie » qui explore les enjeux d’accountability des LLM. Peut-on reprocher à une IA d’avoir donné une fausse information de la même manière que l’on reprocherait à un maître-nageur de dire que la baignade est sécurisé alors qu’il vient de planter un drapeau rouge ? Le conducteur algorithmique d’une voiture autonome sera-t-il responsable en cas d’accident ? La question peut se référer aussi au monde de l’art, où l’IA réalise par exemple des photographies à partir de « promptographie », quelle place reste-t-il à la singularité et à l’originalité des œuvres ?
Nous passons ensuite à un article signé Antonio A. Casilli sur « l’automate et le tâcheron », qui rappelle que nous assistons à une inversion des rôles entre l’algorithme apprenant et l’humain ; les usagers des plateformes ne seraient que des fournisseurs de données pour aider le machine learning à enrichir sa base de données, car l’apprentissage automatique nécessite du travail non automatique. Ce qui nous ramène à l’expression de « Turkers», ce joueur d’échec mécanique XVIIIème siècle nommé Turc qui prétendait être un robot alors qu’en réalité un humain était discrètement caché à l’intérieur.
Nous voilà à nouveau face à ce modèle chez Amazon par exemple où des milliers de « Turkers » font du tri, du classement et de la calibration pour ce qui pourrait s’appeler de « l’intelligence artificielle artificielle ». Amazon ira même jusqu’à créer un service pour aider les entreprises à numériser leurs processus par exemple, avec la plateforme Amazon Mechanical Turk ! A noter que le recours à ces micro-taches est très prisé par des pays comme les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, tandis que les petites mains se trouvent en Inde, aux Philippines, au Népal, en Chine, au Bangladesh et au Pakistan. Une dépendance économique à connotation post-colonialiste, précise l’auteur.
Parmi les articles du numéro, un autre a retenu notre attention, celui de Mathieu Corteel qui se demande « Pourquoi les IA ne pensent-elles pas ? » et qui estime que les IA de nos jours sont moins performantes que ce que l’on imagine. Les IA actuelles seraient faibles et ne feraient que des tâches simples et répétitives de rangement. Et que les biais de l’IA caractérisent nos propres biais. L’entretien réalisé par Benjamin Tainturier auprès de Bernhard Rieder interroge la question du droit d’auteur des créations générées par des prompts. En particulier en ce qui concerne les artistes dont les œuvres sont utilisées pour entrainer une IA et qui pourrait réclamer une rétribution au titre de l’inspiration apportée à l’IA via sa créativité.
Julie Noirot et Pierre Sujobert s’attaquent au sujet sensible de « la Pensée à l’ère de sa reproductibilité technique », à une époque où ChatGPT permet à n’importe qui d’accéder à la maîtrise de la langue savante. Le champ académique se retrouve ainsi dépourvu de la barrière d’entrée qui leur permettait de distinguer qui était du sérail ou pas. Ce qui pourrait faire naître des craintes d’une certaine redistribution du capital intellectuel et d’une perte du monopole du discours savant. Mais les auteurs relativisent cette vision en précisant qu’internet qui était lui aussi amené à repartager l’accès au savoir n’a pas remis en cause la hiérarchie des savants.
Pour conclure, soulignons que ces dissertations surfent sur le volet philosophique et sociétal, sans toujours aller sur le volet technico-pratique, alors qu’il est difficile, selon nous, de donner son avis tant que l’on n’est pas allés interroger les utilisateurs potentiels sur le terrain, et analyser l’apport concret de l’IA pour la société, l’économie et l’innovation.
Par Hasnae CHAMI-BOUDRIKA